Catalogue des malles pédagogiques
Ça y est, le nouveau catalogue des malles pédagogiques est là ! Mais au fait, que sont les malles…
Le mot est récent. On le trouve dans le Littré en 1871. Il vient du latin « laicus ». Le laïc est celui « qui n’a pas reçu les ordres de cléricature ». Dans une vision « cléricale » globalisante d’une Église dominant la société, il y a d’un côté les « clercs », les religieux et toute leur hiérarchie complexe, et de l’autre, les laïcs, tous ceux qui n’appartiennent pas à cette hiérarchie et en dépendent. Cependant, dès 1871, le Littré traduit également le mot « laicus » dans un autre sens : « ce qui n’est pas religieux ». C’est à dire comme une séparation entre les religions relevant de la vie privée et les institutions publiques, l’État, indépendants de toute église. Cette signification est aujourd’hui encore la plus répandue. Signification légitimée également dans l’étymologie grecque. « Laïkos » signifie « ce qui appartient au peuple » ; « Laos » veut dire « qui concerne l’ensemble du peuple, considéré comme un tout indifférencié ». L’étymologie grecque vient donc préciser la connotation politique du mot. Elle permet d’opposer « pouvoir laïque » et « pouvoir religieux », « État laïque » à « État religieux ».
La loi de 1905 organise cette séparation des Églises et de L’État dans son article 2, mais vient aussi dire ce que la laïcité n’est pas. Elle n’est pas antireligieuse. L’article 1er assure en effet la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. On peut dont être laïque tout en étant croyant et pratiquant… Le mot laïcité est difficilement exportable parce que difficilement traduisible dans la plupart des langues. Le mot « sécular » en anglais n’y parvient pas. Sa traduction française, sécularisation signifie autre chose. Ce n’est plus une séparation mais une nationalisation des biens des églises, une fonctionnarisation de leurs organisations, voire même, dans certains pays, une appropriation puis une transformation du discours religieux… Si le mot est difficile à traduire, l’idée de Laïcité voyage néanmoins dans le temps comme dans l’espace. On en trouve des traces dans de nombreuses traditions, comme celle-ci par exemple : « La justice sans religion vaut mieux pour l’ordre de l’univers que la tyrannie d’un prince dévot » Djâmi, poète soufi du XVème siècle – Beharestân.
Quel continent n’a pas connu ses conflits interreligieux ? Quel pays n’a pas vu ses « enfants » s’entredéchirer au nom des traditions, divinités ou dogmes supposés ? Si notre longue histoire a connu quelques pogroms, la sanglante opposition entre protestants et catholiques marque l’une de nos plus brutales guerres civiles. Pacte de paix, dont le qualificatif « tolérant » reste très discutable, l’Édit de Nantes (1598) officialise néanmoins la reconnaissance de deux religions dans le royaume de France. Plus tard, sa révocation par Louis XIV provoquera un nouveau drame national. Ces événements laissent suffisamment de traces dans l‘esprit des générations, notamment celle de la grande Révolution. Depuis longtemps déjà, les esprits s’éveillent dans notre pays. Si l’on a pu qualifier le XIIIème comme le siècle de la symbiose d’une société et d’une religion (catholique), le XIVème, sa grande peste qui tue un européen sur trois et ses guerres incessantes désenchantent le monde et ébranlent bien des certitudes. XVème et XVIème découvrent de nouveaux univers, d’autres sociétés aux langages et cultures différenciés et revisitent ceux de l’antiquité, riches en mythologies et expressions artistiques « païennes » ou profanes.
La « geste » médiévale, les chansons des trouvères offraient, tant au peuple qu’aux princes, un imaginaire profane. Mais l’art sacré, magnifié dans l’architecture religieuse de ces temps, avait pris une telle dimension qu’il ne pouvait subsister aucun doute dans les esprits sur la hiérarchie des valeurs qui en découlait. Avec la fin d’une architecture militaire austère (châteaux forts), le peuple découvre un autre art, celui exposé par leurs princes avec ostentation, en élargissant les ouvertures de leurs demeures et en les enrichissant de décors aux thématiques « païennes » et profanes chères à la Renaissance.
Plus discrètement, les progrès de l’optique liés à l’observation astronomique apportent de nouvelles représentations de l’univers (la révolution copernicienne et l’héliocentrisme). Discourir sur le sujet, ou pire, publier de nouvelles thèses en contradiction avec le discours de l’Église, seule détentrice de toutes les vérités, signifie s’exposer à l’ire des clercs patentés. Ils savent vous le reprocher jusque dans votre chair. Rompus à cet exercice depuis longtemps, ces clercs organisent de grands procès (Galilée, Giordano Bruno…) et manifestent de manière sanglante le pouvoir que l’Église entend jalousement conserver sur les esprits. Mais le pas est pourtant franchi. Le rationalisme de Descartes (discours de la méthode) s’inspire directement des faiblesses de l’argumentation de Galilée et de celle de la scolastique… Science et philosophie s’affranchissent des thèses religieuses, étape essentielle de la déconstruction d’une civilisation où le dogme supplante la raison. L’homme envisage différemment sa relation à l’univers, à sa propre nature, à ses contemporains et à l’humanité…
Produit de cette philosophie humaniste, les encyclopédistes (sous la conduite de Diderot et D’Alembert), transgressent notablement la confiscation du savoir par une académie royale et une université dominée par les clercs. Rassembler toutes les connaissances dans une collection disponible auprès de ceux qui ont les moyens de se l’offrir (ce qui en fixe bien sûr la limite), le projet nourrit évidemment l’idée qu’un peuple plus éclairé saura trouver les voix de son affranchissement.
Le peuple de France, s’il ne la conduira, trouvera en son sein des esprits suffisamment émancipés pour opérer cette grande révolution sociale et politique, tant admirée aujourd’hui à l’étranger. Avec elle, les prémisses de notre laïcité. Dans les faits, la Révolution Française s’apparente plutôt à une sécularisation assez brutale. 1789 abolie la segmentation de la société en trois ordres (noblesse, clergé, tiers état) et les privilèges qui y sont liés. Seule, la citoyenneté forme le lien direct entre l’individu et la Nation. L’État civil libère de la plume des clercs l’enregistrement des grandes étapes de la vie : naissance, mariage, décès.
Soupçonneux du manque de liberté individuelle dans les pratiques ecclésiales, nos révolutionnaires abolissent les vœux monastiques le 13 février 1790. Certains d’entre eux votent le texte avec un sentiment antireligieux et appelle cette loi, celle « des inutiles ». Soucieux de subordonner le pouvoir religieux au pouvoir civil, la «Constitution civile du Clergé», 12 juillet 1790, sécularise ce dernier. Les prêtres et évêques deviennent fonctionnaires. Leur nomination n’appartient plus au pouvoir du pape, mais dépend de l’élection. L’Église se défend et nos révolutionnaires cherchant à garantir cette sécularisation obligent bientôt les prêtres à « jurer » sur la constitution (janvier 1791). Les biens de l’Église et les édifices religieux ont été confisqués. L’État pourvoit à leur entretien. Mais la menace extérieure nécessite de nouveaux moyens financiers. La République vend les biens confisqués et allège sa dépense publique en fermant les églises (juin 1793 à novembre 1794).
Les régions françaises, nouvellement soumises à la conscription ne veulent pas laisser partir des bras nécessaires aux champs, pas plus qu’elles n’apprécient de voir leurs églises interdites de fréquentation. Ce sont des ferments importants de révolte. Rejoignant le parti des exilés, des « jacqueries » régionales évoluent en guerres civiles, principalement en Provence, Normandie, Bretagne et Vendée… Leur souvenir alimente pendant deux cent ans l’opposition, dans la société civile et publique française, entre monarchistes catholiques et républicains laïques.
La 1ère séparation de l’Église et de l’État est votée le 21 février 1795. La République ne reconnaît aucun culte et ne salarie aucun ministre du culte.
Cherchant à garantir une paix intérieure pour mieux se défendre des menaces extérieures, Napoléon, alors 1er Consul, signe le Concordat avec le Pape Pie VII le 8 avril 1802. Ce dernier reconnaît la République. L’Église renonce aux biens confisqués. Les prêtres restent fonctionnaires et fidèles au gouvernement. La religion catholique est reconnue majoritaire. Les ministres du culte protestant sont également fonctionnaires, les rabbins en 1808. Le régime concordataire domine peu ou prou les alternances de régime (1er Empire, Restauration avec Louis XVIII et Charles X, Monarchie de juillet avec Louis-Philippe, IIème République, 2nd Empire).
Il faut attendre la IIIème République pour que la réalisation de l’État laïque reprenne sa marche. Elle le fait avec un ensemble de textes de lois dont bon nombre régissent encore notre « vivre ensemble ». Cette fois, il ne s’agit plus d’une sécularisation mais d’une authentique laïcisation. De 1881 à 1886 – Les lois sur l’Ecole, obligatoire de 6 à 13 ans, gratuite et laïque sont votées. L’enseignement, l’instruction sont désormais accessibles aux françaises et français dans une école affranchie de la tutelle des clercs.
Le 14 juin 1791, la loi le Chapelier, désirant favoriser le libre exercice professionnel et lutter contre les abus des corporations, avait de fait supprimer la libre association des ouvriers et paysans et interdit tout mutualisme. En 1884, la IIIème république autorise le syndicalisme. En 1901 elle offre un cadre au droit d’association, formidable espace de libertés collectives et de solidarités. Les Français peuvent désormais s’organiser et développer autant d’activités qu’ils le souhaitent dans des domaines aussi étendus que le sport, la culture, les loisirs et le secours mutuel… Associations laïques et associations paroissiales s’affrontent dès lors sur tous les terrains et pendant longtemps, avant de dépasser aujourd’hui leurs antagonismes et participer à quelques entreprises communes.
1905, la grande loi de séparation des Eglises et de l’Etat consacre une authentique laïcisation :
« La République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes. L’Etat ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. »
La religion devient une affaire privée et doit se financer elle-même. L’Etat et les communes sont propriétaires des édifices religieux – leur usage est confié à des associations cultuelles. Mis à part quelques compromis « historiques » (ils mériteraient à eux seuls un large exposé critique), un siècle de pratique de la loi de 1905 entraîne la conviction et l’adhésion des français à ses principes et ses valeurs. Attachés à ce « vivre ensemble », ils sont aujourd’hui très majoritairement hostiles à toute modification de sa rédaction. Les IVème et Vème républiques complètent néanmoins cette construction. De nombreux textes sont produits par la volonté du législateur, mais aussi par un dialogue avec une société dont les courants de pensée se laïcisent profondément.
En 1945 on accorde enfin le droit de vote aux femmes et la laïcité devient constitutionnelle. Les mouvements de libération des mœurs qui suivent les évènements de mai 1968 contribuent à la laïcisation des esprits et influencent le législateur dans le vote d’une série de textes d’émancipation : divorce, réforme de l’autorité parentale, interruption volontaire de grossesse, contraception, égalité des sexes, PACS… jusqu’aux plus récentes lois de bioéthique… et en 2004, la réaffirmation de l’interdiction des signes religieux à l’école publique et dans l’administration…
Bruno Mainguy – Chargé de développement aux Francas des Pays de la Loire
Pour mieux appréhender ce que représente l’esprit laïque, il nous faut bien en venir aux idées sous-tendues par ce grand principe.
Le lecteur scientifique voudra bien pardonner les lignes qui suivent, mais elles permettent d’imager notre propos. L’évolution des techniques permet aux scientifiques de faire de nouvelles observations du réel et découvrir des phénomènes que les connaissances précédentes ne suffisent pas à expliquer. Le scientifique doit se remettre à l’étude et revisiter ses thèses. En un mot le « doute » accompagne sa démarche pour expliquer ses nouvelles découvertes. Le « doute » n’est pas pour autant une fin en soi, mais plutôt un « outil », utile pour avancer sur le chemin de la connaissance.
Il en est de même pour chacun de nous. Manier le doute, remettre en question nos anciennes certitudes, nos opinions, nous permet de libérer notre pensée et de la prédisposer à mieux accueillir de nouvelles réalités que la vie nous conduit fatalement à appréhender, à apprivoiser et à connaître.
Referme ton Coran, pense librement et regarde librement le ciel et la terre – Omar Khayyâm – XIème siècle.
Notre pensée évolue ainsi plus librement et notre recherche de vérités suit une démarche plus progressive. En un mot, le doute nourrit la liberté de pensée et comme le dit si bien la formule : « le doute humain est une approche par asymptote de la vérité ».
Cette liberté de pensée touche bien évidemment notre conscience dans ses interrogations les plus profondes. Elle nous permet de mieux accepter l’extraordinaire variété d’attitudes que l’esprit humain aura su créer ou interpréter de son rapport à la Vie. Sans renoncement à ce qui nourrit notre propre conscience, mais avec un relativisme limité, notre esprit, débarrassé de tout dogmatisme, saura accueillir avec une bienveillance critique les innombrables chemins de la conscience humaine : animiste, polythéiste, symboliste, ésotériste, monothéiste, déiste, syncrétiste, agnostique, athée, indifférent, philosophe ou simplement sage… Il nous est alors plus facile d’accepter pour les autres toutes les postures et de n’en privilégier aucune collectivement. C’est la liberté absolue de conscience, celle qui permet à tout un chacun de croire ou de ne pas croire en une force supérieure.
Un esprit libre, une conscience libre, ne saurait limiter sa critique et l’expression de sa critique à toutes les formes de pensées qui l’environnent. De même, il ne saurait prendre trop ombrage des critiques que l’on formulent aux siennes. L’expérience de la libre expression, de la libre « circulation » des idées, apporte un débat éclairant et salutaire pour éloigner toute emprise dogmatique d’un « clan » sur la société. On se fait donc volontiers le chantre de ce débat.
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ! » On prête ces mots à Voltaire. Personne n’en a jusqu’alors apporter la preuve. Peu importe, cela n’enlève rien à la valeur de la phrase.
Il est bien des manières d’envisager la question de la liberté individuelle. Héritière du droit romain et de la Révolution française, notre conception s’exprime couramment dans cette formule : « Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres ». Conception qualifiée de « bourgeoise » au bon sens du terme, elle sous-entend néanmoins une notion de frontières, de territoires personnels posés les uns à côté des autres. L’expression libertaire de Bakounine, « Ma liberté s’enrichit de celle des autres », évoque une plus grande ouverture d’esprit et une liberté individuelle se nourrissant de libertés plus collectives. La tradition laïque, notamment celle que l’on peut observer auprès des mouvements et associations d’éducation populaire porte en elle une idée particulièrement émancipatrice :
Personne n’appartient à personne – ni femme à son mari, ni enfant à ses parents…
Cette vision forte de la liberté individuelle est exigeante mais surtout dérangeante pour nombre de traditions… On en trouve pourtant une vibrante illustration dans le texte d’un grand croyant, Khalil Gibran 1883-1931 – extrait du « Prophète » :
(…) Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles du désir de la Vie pour elle-même.
Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous,
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées, car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez loger leurs corps, mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même en rêve.
Vous pouvez vous efforcer d’être semblables à eux, mais ne cherchez pas à les rendre semblables à vous.
Car la Vie ne revient pas en arrière et ne s’attarde pas avec le passé.
Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants, telles des flèches vivantes sont lancés (…).
Revenons aux idées de la Révolution Française. La liberté du citoyen s’exprime aussi dans le principe d’égalité proclamé dans la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1789 : « Les hommes naissent libres et égaux en droit ». Les différences liées au hasard de la naissance ne doivent ni conférer des privilèges à certains, ni négliger le droit des autres. Principes repris dans la déclaration de 1948. L’idée d’égalité n’est pas pour autant évidente. Au delà de l’égalité de droits et /ou de devoirs du citoyen, certains esprits dénoncent le danger d’une uniformisation de la société.
L’idée d’égalité est-elle forcément emprunte du complexe de Procuste ? Dans l’antiquité grecque, ce personnage vivait à la périphérie d’une cité et attachait ses victimes alternativement sur deux claies de bois, l’une de petite et l’autre de plus grande dimension. Sur la première, les malheureux se voyaient raccourcis par le tranchant de la lame de Procuste. Sur l’autre, leurs membres étaient étirés pour que, dans un cas comme dans l’autre, les corps respectent les dimensions imposées.
Symbole du conformisme et de l’uniformisation, le complexe de Procuste ne représente bien évidemment pas l’idée que les défenseurs de l’égalité et de la justice se font de la société.
Le Droit à la différence ne fait aucun doute dans l’esprit laïque. Mais, par référence au principe d’égalité en droit, le droit à la différence, ce n’est certainement pas la différence des droits, ni pour un individu, ni pour une communauté d’individu. Pas de loi privée, (privata lex, privilège).
Notre culture fait une large place à la découverte et à l’accueil de l’étranger. Depuis que l’homme emprunte les grandes routes commerciales de la planète, il se nourrit du dialogue des cultures. L’homme du XXIème siècle peut même le faire aujourd’hui en partie sans quitter son domicile… Mais lorsqu’il trouve le moyen de dépasser les différences culturelles en nourrissant des relations plus intimes avec « l’étranger », il lui apparaît très vite qu’il y a plus de choses qui rassemblent les hommes qu’elles ne les divisent. La discorde provient le plus souvent de l’ignorance, de peurs irrationnelles, ou d’injustices. Les hommes sont faits du même bois ; c’est le même feu qui les anime. Cette observation conduit l’esprit laïque à refuser toute segmentation de l’Humanité.
Dans nos sociétés humaines, les discriminations existent : origine géographique, sexe, maladie, handicap, origine sociale… sont le plus souvent cités. Notre vision de l’égalité et de la justice nous conduit à lutter contre les atteintes faites aux droits des hommes et des femmes ; à lutter pour que l’égalité de droit proclamée le devienne dans les faits.
Cette idée de la justice et de l’égalité se nourrit d’autres observations.
L’homme ne vit pas seul, ou si rarement…
C’est un animal social et politique (Aristote).
On ne cessera sans doute jamais de s’interroger sur le propre de l’homme… Lorsque l’on observe les comportements animaux face à la mort, on est surpris des rites accomplis par certains. Il n’est pas sûr que la conscience soit un critère. Les neuroscientifiques vous répondront plutôt de la manière suivante : un chat à une conscience, un chien aussi, mais ce sont des consciences de chat et des consciences de chien… Question difficile. Revenons à la formule du vieux sage. Certes on trouve des organisations sociales élaborées dans le règne animal. Mais la différence réside peut-être dans leurs très faibles évolutions… La capacité de l’homme à s’organiser socialement de manières fort variées à travers le temps et l’espace donne une prime à la formule d’Aristote. Animal social, l’homme se reconnaît dans le regard des autres. C’est le regard des autres qui lui donne le plus souvent le sentiment de sa propre existence. Il s’en nourrit et l’apprécie.
Reste qu’au-delà des affinités et de ses différences de caractère, l’homme doit souvent faire un effort pour vivre en bonne intelligence avec l’autre. Il lui faut être « tolérant », dit-on. Le mot n’est pas si adéquat que cela. Dans un texte où il explore toute les notions liées à ce vocable, y compris dans ce qu’il a d’apparemment bénéfique, Goethe finit par lâcher : « Tolérer, c’est insulter ! ». En effet, tolérer un comportement, n’est ni le considérer légitime, ni particulièrement respectable… Que dire alors de la nature du sentiment nourri à l’endroit de son auteur ? Ce dernier aura à juste titre envie de répliquer :
Je ne veux pas être toléré, je veux être respecté !
Pour vivre ensemble, il nous faut admettre de respecter l’autre, de se faire une haute opinion de sa dignité et au besoin son défenseur. Il s’agit nécessairement d’un apprentissage, qui commence par le respect que l’on doit à soi-même.
Le goût de l’altérité et le respect mutuel conduisent à reconnaître l’universalité de notre commune condition. Au delà des liens du sang, il nous apparaît alors plus sensible la part qui nous rassemble et nous pousse au sentiment que chacun puisse en définitive représenter un frère, une sœur. Cette fraternité n’est bien évidemment pas de même nature que celle que l’on choisi d’avoir affectivement avec certains. La fraternité de sang peut d’ailleurs augmenter une profonde inimitié et sagement nous conduire à l’évitement. Fraternité et amitié ne sont pas si synonymes. Elles ne s’excluent pas pour autant et l’on sait le sens qu’une amitié sincère et profonde peut prendre lorsqu’on la qualifie de fraternelle.
La fraternité, au sens politique du terme, manifeste néanmoins notre propension, en tant que citoyen, à ne pas rester insensible au sort des autres. Organisée dans une solidarité collective, elle profite à tous et à chacun. Je sais dès lors qu’un accident de la vie trouvera une réponse dans cette commune solidarité comme il me paraît évident que je dois y contribuer pour les autres. C’est en ce sens que fraternité rime avec solidarité et réciproquement… et plus, si affinités !
L’expression de notre solidarité, de notre égalité et de notre liberté se développe dans la construction de notre cité, de la « chose commune », de la «chose publique », de « ce qui appartient au peuple », autrement dit de notre République. Ce qui touche à notre conscience est de l’ordre de la sphère privée. Pour vivre ensemble, il nous faut cet espace commun, cette République dans laquelle chacun doit pouvoir se reconnaître au-delà de ses préférences spirituelles. Pour être accessible à tous, en pleine liberté et égalité, cet espace doit être de ce point de vue d’une parfaite neutralité. Cet espace commun, neutre, la République, ce sont plus précisément ses institutions et ses lieux (écoles publiques, hôpitaux publiques, armée, police, mairie, etc.), ses symboles et ses représentants.
On peut résumer la laïcité à la seule loi de séparation de 1905. Mais lorsque l’on observe les débats qui agitent notre pays ou bien d’autres, on se rend compte que les arguments touchent inévitablement à quelques unes des idées de notre exposé et, le plus souvent, à la nécessité de ne pas détacher le concept de laïcité de la devise républicaine « liberté, égalité, fraternité ».
Les idées sont faites pour voyager et la notion de République laïque n’appartient pas à la seule France. La laïcité sous-tend en elle-même un modèle « exportable » ou plutôt « importable ». On peut, on doit nourrir cette utopie : la construction d’une République universelle.
Je place la République avant la France ; la France, c’est nous ; la République, c’est nous et les autres. Henri Barbusse – « Clarté » 1919
Bruno Mainguy – Chargé de développement aux Francas des Pays de la Loire